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L’Idolâtrie de Salomon dans l’art de la fin du Moyen Age : du thème biblique à la scène de gendre
Solomon's Idolatry in late medieval art: from the biblical genre theme

Author(s): Christian Heck
Subject(s): Fine Arts / Performing Arts, Visual Arts, History of Religion
Published by: Instytut Sztuki Polskiej Akademii Nauk
Keywords: medieval art; iconography of Solomon; Solomon's idolatry; theme of the Power of Women;

Summary/Abstract: Christian Heck, L’Idolâtrie de Salomon dans l’art de la fin du Moyen Age : du thème biblique à la scène de genre Le roi Salomon occupe une place majeure dans le texte vétéro-testamentaire, d’abord dans l’histoire du peuple juif, mais aussi dans la théologie, la spiritualité et l’iconographie du christianisme médiéval. C’est un grand souverain, un vrai réorganisateur du royaume ; il est aussi le bâtisseur du Temple, et un personnage d’une sagesse proverbiale. L’iconographie en a retenu entre autres les épisodes du Jugement de Salomon, la Rencontre avec la Reine de Saba, ou encore la source d’un thème allégorique majeur avec le Trône de Salomon réinterprété comme support de la Vierge à l’Enfant. Mais comme son père David, le souverain ne présente pas que des qualités, et un long passage biblique (I Rois 11, 1-13 ; III Rois 11 dans l’ancienne numérotation de la Vulgate) décrit comment Salomon, âgé, ne se consacre plus entièrement à Dieu. Il ne tient pas compte de l’avertissement qu’a donné Yahvé, et laisse ses nombreuses femmes étrangères détourner son cœur vers d’autres dieux : « Salomon suivit Astarté, la divinité des Sidoniens, et Milkom, l’abomination des Ammonites. Il fit ce qui déplaît à Yahvé […] Il en fit autant pour toutes les femmes étrangères, qui offraient de l’encens et des sacrifices à leur dieux ». Cette désobéissance est lourde de conséquences car Yahvé, nous dit le texte biblique, suscite des ennemis extérieurs, mais aussi la révolte de Jéroboam, et le schisme du royaume lorsque Roboam succède à son père Salomon, et que Jéroboam revient de son exil. L’idolâtrie de Salomon n’est donc pas un épisode secondaire de sa vie, et les biblistes et spécialistes de l’exégèse, depuis quelques années, ont bien remis en perspectives les deux faces de ce grand personnage. Je n’aborderai pas ici les questions – importantes – de la place de ce passage biblique dans l’exégèse et la culture médiévales, pour me consacrer plutôt à une série d’analyses sur l’écho qu’il a trouvé dans l’iconographie. La bibliographie cite essentiellement le thème de façon limitée, et pour des œuvres tardives. Le Lexikon der christlichen Ikonographie inclut l’épisode, mais renvoie à des œuvres du début du XVIe siècle, en lien avec le thème du Pouvoir des femmes. Jane Campbell Hutchison, dans ses travaux sur le Maître du Livre de Raison, nous dit que la gravure que l’artiste consacre à ce thème, vers 1485, est une des premières représentations de l’Idolâtrie de Salomon, et que sa source iconographique reste un mystère. Le catalogue de l’exposition de Detroit en 1983 précise également que ce thème est pratiquement inconnu dans l’art jusqu’à la fin du XVe siècle, et pour Bert Cardon cette iconographie « n’apparaît presque jamais dans les arts figurés ». Il est vrai que le thème est très présent, en tout cas au nord des Alpes, dans les premières décennies du XVIe siècle, en particulier dans la gravure, ainsi en 1501 chez le Maître MZ ; chez Lucas de Leyde, en 1514 sur cuivre et vers 1517 sur bois ; ou vers 1519 dans une petite pièce d’Altdorfer. Cela peut prendre la forme d’une série, comme chez Ambrosius Holbein dans les gravures sur bois formant encadrement du frontispice d’une édition bâloise des Epodes d’Horace, où l’Idolâtrie de Salomon est associée à Virgile dans son panier, Samson et Dalila, Aristote et Phyllis ; chez Hans Burgkmair en 1519 dans une série de quatre bois rapprochant Salomon idolâtre, Samson et Dalila, David et Bethsabée, et Aristote et Phyllis ; et ces mêmes quatre derniers thèmes se retrouvent vers 1534 dans une gravure sur bois de Peter Flötner. Sans vouloir être exhaustif, on peut aussi citer la peinture murale bernoise de 1518 de Nicolas Manuel Deutsch, détruite mais connue par des copies ; la tapisserie zurichoise de 1522 où Virgile dans la corbeille, au centre, est entouré par l’Idolâtrie de Salomon, Samson et Dalila, David et Bethsabée, Judith et Holopherne ; ou, vers 1537, une peinture de Cranach le Jeune. Je voudrais montrer que, contrairement à ce qui a souvent été affirmé, cette représentation est pourtant présente au moins depuis le XIIIe siècle, mais aussi qu’elle possède la particularité passionnante de glisser peu à peu d’une image biblique vers une scène profane, qui s’inscrit dans le thème du Pouvoir des femmes. Vers 1215-1230, un médaillon présente l’Idolâtrie de Salomon dans le cycle qui lui est consacré dans deux manuscrits de la Bible moralisée, et je reproduis la version de Vienne; peu après, mais avant 1248, le thème se retrouve au sommet d’un vitrail de la Sainte-Chapelle . Pour le XIVe siècle, et en n’évoquant que pour mémoire les peintures murales disparues de la maison Zur Kunkel (« A la quenouille »), à Constance, vers 1315, et d’interprétation délicate, signalons l’importance, dans l’exceptionnel Psautier de la reine Marie, vers 1310-1320, d’un beau dessin rehaussé de couleurs. Il s’inscrit dans un long cycle iconographique narratif vétéro-testamentaire qui va de la Création, à la mort de Salomon. Le dessin occupe la moitié supérieure de la page ; Salomon est agenouillé en tête d’un groupe de femmes dont les trois premières sont couronnées ; des arcades séparent le sanctuaire, où deux figures diaboliques trônent sur un autel, de l’espace pour les fidèles, et Salomon est le seul à pénétrer partiellement dans la partie la plus sacrée. La brève légende en anglo-normand évoque les femmes étrangères qui font perdre la raison au souverain, les sacrifices aux idoles, et la colère divine. Le dessin de la moitié inférieure de la page est consacré aux reproches que lui fait ensuite un prophète, élément absent du passage biblique. La page de gauche présente Salomon faisant construire le Temple, puis la Visite de la Reine de Saba, la double page formant donc diptyque, avec les actions vertueuses opposées à la faute. Le cycle se clôt avec la page suivante, présentant les Philistins venant combattre Jérusalem à cause de la faute de Salomon, puis la mort du roi. Malgré quelques libertés par rapport au récit biblique, la séquence correspond bien à l’esprit de l’épisode, dont le trait principal est l’adoration d’idoles étrangères dans l’oubli des commandements de Yahvé, et la punition qui s’ensuit. Le lien de notre thème avec des légendes ou des textes en langues vernaculaires s’observe aussi dans la Bible de Herman de Valenciennes, traduction-adaptation de la Bible en vers français réalisée dans la deuxième moitié du XIIe siècle, et où la partie consacrée à l’Ancien Testament se termine avec Salomon. Le texte évoque l’idolâtrie du roi, mais décrit ensuite ses regrets, lorsqu’il se repent devant un prophète, et se soumet à une pénitence publique, battu de verges. Dans un manuscrit parisien de la fin du XIVe siècle, l’épisode est accompagné de trois dessins répartis sur la même page. Sur le premier, Salomon couronné est seul devant l’idole dressée au sommet d’un pilier, personnage nu tenant un bouclier et une lance, motif fréquent dans l’illustration du thème. On voit ensuite Salomon faisant détruire l’idole, puis la pénitence publique. On rencontre notre iconographie dans d’autres emplacements où on ne l’attendrait pas, ainsi dans un Speculum Humanae Salvationis, en allemand, vers 1440. Alors que le roi Salomon est évoqué dans plusieurs scènes de cette œuvre typologique majeure, ce n’est jamais le cas pour ce thème de l’Idolâtrie, et cet exemple est certainement un unicum. Dans ce manuscrit, il est intégré dans un des chapitres introductifs sur l’histoire des premiers hommes. Une double page présente, dominant la colonne du texte, à gauche Dieu unissant Adam et Eve, et à droite d’une part la Tentation d’Eve par le serpent, d’autre part l’Idolâtrie de Salomon. L’enluminure insiste sur le fait que c’est bien une femme étrangère, représentée noire et la tête ceinte d’un turban, qui encourage Salomon, une main sur son épaule, l’autre lui désignant l’idole. Le rapprochement avec Eve insiste sur la femme tentatrice. Cette place de l’Idolâtrie de Salomon comme thème essentiellement religieux ne disparaît pas. Elle figure, mais très rarement, comme une des quatre scènes consacrées à Salomon dans la composition formant frontispice au Livre des Proverbes dans la Bible historiale de Guiart des Moulins. Dans un manuscrit parisien vers 1412, cette page, peinte par l’atelier du Maître de Boucicaut, rapproche le Jugement de Salomon, Salomon et la Reine de Saba, l’Idolâtrie de Salomon, et Salomon enseignant ; comme le note Millard Meiss, la femme, de race blanche, qui pousse Salomon vers les idoles, est identique à la Reine de Saba de la scène voisine. Une autre Bible historiale parisienne, vers 1403, situe également Salomon idolâtre comme un élément de cette quadruple composition en tête du Livre des Proverbes. Le thème se voit aussi dans une illustration d’un livre d’heures par Jean Colombe, vers 1480-1485. La rubrique précise que Salomon sacrifie aux idoles à cause de la tromperie des femmes, ce qui correspond au geste de celle qui, vue de dos, l’encourage dans sa prière au bas des degrés. Déjà, dans la Somme le Roi, rédigée par Frère Laurent à la fin du XIIIe siècle, l’Idolâtrie de Salomon est extraite de son contexte strictement biblique pour être intégrée dans un traité sur les vertus. Dans la cinquième et dernière partie de l’ouvrage, dans les pages concernant les degrés de chasteté, le troisième degré consiste à bien garder les cinq sens, qui sont les cinq portes de la cité du cœur, par où les diables entrent souvent, et de nombreux grands hommes sages ont été pris et vaincus parce qu’ils gardaient mal ces portes. Trois exemples sont alors brièvement cités, Samson, David et Salomon, qui ont chuté à cause des femmes.Parallèlement, un véritable tournant se produit autour de la fin du XIVe siècle. John Gower termine en 1390 pour Henry Bolingbroke, comte de Derby et futur Henri IV d’Angleterre, son œuvre la plus fameuse, la Confessio Amantis. Sous un prétexte que le titre présente bien, il s’agit, en huit livres, d’une longue réflexion sur la moralité, la conduite sociale, l’amour et ses conséquences, mais aussi la manière dont un souverain doit se comporter, et nous retrouvons une langue vernaculaire, puisque le texte, en vers, est écrit en anglais. Dans le livre VI, un passage rapide évoque des hommes vaincus par l’amour, qui leur fait perdre la raison comme s’ils étaient ivres : Salomon, Samson, David (pour Bethsabée), Virgile, Aristote. La faute de Salomon est présentée plus longuement dans le livre VII, qui concerne les parties de la philosophie, dont l’éthique, et les règles que doit observer un souverain. Une de ces règles est la chasteté, et Gower cite différents princes, dont Sardanapale qui a perdu son royaume et son honneur, parce qu’il devint efféminé. Gower décrit alors l’idolâtrie de Salomon qui mène à la division de son royaume après sa mort, tout cela à cause de ses concubines sarrasines, « Hise wyves and hise concubines / Of hem that weren Sarazines / For whiche he dede ydolatrie ». Un manuscrit anglais, vers 1470, dont la très abondante illustration rend bien compte de l’entremêlement de quelques thèmes bibliques avec un grand nombre d’épisodes tirés de l’histoire, de la littérature et de la mythologie antiques, ou des arts libéraux, consacre à l’Idolâtrie de Salomon une enluminure, située entre la rubrique qui donne un résumé latin en prose, et le début des vers en anglais. Un prêtre, balançant un encensoir, se tient à droite de la colonne sur laquelle se trouve l’idole nue, couronnée et tenant la lance. La femme qui reprend de ses deux mains le geste déjà observé, est habillée à la mode de la fin du Moyen Age, ce qui contribue à dégager la scène du contexte biblique. Surtout, le texte se sert de l’épisode non pour rappeler la nécessité de dévotions justes, mais pour attirer l’attention sur les conséquences tragiques que peut entraîner l’amour. Strict contemporain de Gower, l’autrichien Hans Vintler, administrateur du duc Frédéric du Tyrol, mène encore plus loin le thème de l’Idolâtrie de Salomon vers la discussion morale, dans un texte violemment antiféministe, et mettant directement en cause l’attitude des femmes. Die Blumen der Tugend, qu’il termine en 1411, en allemand, est un traité des vices et des vertus, qui doit beaucoup aux Fiori di virtu du moine bolonais Tommaso Gozzadini. C’est dans la deuxième section, consacrée à la charité, qu’un long passage présente l’Idolâtrie de Salomon, provoquée par « la contrainte exercée par une païenne noire ». L’ouvrage est conservé dans cinq manuscrits et une édition incunable. Dans un manuscrit du milieu du XVe siècle, le dessin à la plume, colorié, est placé au milieu du passage correspondant dans le texte. La tentatrice est couronnée, et placée devant Salomon qui imite son geste. Le caractère maléfique de l’idole a été accentué, elle est devenue un diablotin avec des cornes, de larges ailes, et le serpent orne son bouclier posé contre elle. Michael Camille, qui cite brièvement ce dessin, remarque très justement qu’ici Salomon tient une quenouille, l’attribut des hommes dominés par une femme. Signalons que c’est l’objet que tient Hercule lorsqu’il est subjugué par Omphale, ainsi que l’évoque entre autres Boccace, qui fait pour cet épisode la confusion, fréquente aux XIVe et XVe siècles, entre Omphale et Iole : « elle l’amena, lui déjà bien amolli, à raconter l’histoire de ses travaux, assis, comme elle, au milieu des femmes, et, saisissant la laine, à la filer à la quenouille… », et comme le montre l’enluminure, par exemple dans les deux exemplaires de Boccace, Des cleres et nobles femmes, faits à Paris en 1402-1403, l’un pour Philippe le Hardi, l’autre pour le duc de Berry. On doit aussi citer le thème, moins connu, du roi Sardanapale filant la laine au milieu des femmes, et tenant la quenouille. L’épisode est présent entre autres chez Ctésias de Cnide, dans ses Persica, décrivant Sardanapale qui « menait une vie d’efféminé : il passait son temps avec ses concubines, à filer des étoffes de pourpre et les plus soyeuses des laines ». L’enluminure montre Sardanapale tenant la quenouille au milieu des femmes, ainsi dans le Boccace de Jean sans Peur, vers 1412, Des cas des nobles hommes et femmes. Dans la période immédiatement postérieure à l’activité de Vintler, l’Idolâtrie de Salomon est présente sur des cassoni du Quattrocento, dont l’iconographie reprend souvent, comme celle des deschi da parto - les plateaux d’accouchée -, des thèmes présentant le Triomphe de l’amour et le Pouvoir des femmes. On peut citer deux de ces coffres, du second quart du XVe siècle, où notre thème est associé dans un cas à deux autres exemples bibliques, Judith et Holopherne, et Samson et Dalila, et dans l’autre à des éléments antiques ou supposés tels, Diane et Actéon, et Aristote et Phyllis. Cette intégration de l’Idolâtrie de Salomon dans la thématique du Pouvoir des femmes est encore plus directe et plus affirmée dans le Livre du Cœur d’amour épris, rédigé par le roi René d’Anjou en 1457. Lorsque Cœur, avec ses deux compagnons Désir et de Largesse, arrive au château de Plaisance, résidence du dieu d’Amour, Bel Accueil vient à leur rencontre, les fait passer sous la première porte, et là ils observent, suspendus à la voûte du portail, six séries d’objets, dont ils ne comprennent le sens que lorsque Bel Accueil leur donne les explications attendues. Il s’agit de la corbeille en osier dans laquelle Virgile s’est installé pour être hissé par une dame pour rejoindre sa chambre ; mais celle-ci le laisse suspendu à mi-hauteur jusqu’au matin, ce qui fait de lui la risée de toute la ville, selon un des éléments de la légende médiévale de Virgile ; des ciseaux avec lesquels Dalila a rasé la tête de Samson, ce qui est ensuite la cause de sa mort (en Juges 16, 4-21) ; du frein, de la bride, la selle et les éperons, qui ont servi à une femme (Phyllis, non nommée chez René d’Anjou) à dominer et chevaucher Aristote, selon le fameux Lai d’Aristote, apparu au XIIIe siècle ; de la quenouille et du fuseau avec lesquels Sardanapale file, au milieu des femmes ; d’une grande statue de bois, « noircie de fumée comme une idole », qui représente les dieux que le roi Salomon idolâtre, dans sa vieillesse, pour l’amour de ses épouses ; et d’instruments pour le tissage, avec lesquels Hercule, fou d’amour Iole, a travaillé à carder, filer et tisser. Sur les trois manuscrits enluminés conservés du Livre du Cœur d’amour épris, seul un exemplaire fait en Anjou, vers 1480-1490, possède une enluminure pour cet épisode. Au-delà de l’originalité consistant, chez René d’Anjou, à évoquer ces récits à travers les seuls objets les symbolisant, il faut souligner l’importance de cette série de six récits consacrés au Pouvoir des femmes, et son caractère clairement satirique. La description est traitée sur le mode de l’humour et de l’ironie, et lorsque Bel Accueil a fini de donner ses explications, Cœur rit, imité par ses compagnons. L’Idolâtrie de Salomon a perdu ici toute la connotation religieuse du récit originel - l’importance de la faute vis-à-vis de Dieu, et ses graves conséquences – pour être assimilée à ces cinq autres exemples de personnages célèbres et rusés, mais qui ont été vaincus par l’habileté des femmes. A la même date que cette dernière enluminure, une gravure en pointe-sèche du Maître du Livre de Raison inscrit elle aussi notre thème dans une série du Pouvoir des femmes. Jane Hutchison a montré que cette œuvre forme pendant avec une autre gravure du même artiste, et de mêmes dimensions, présentant Aristote et Phyllis, et que cette dernière œuvre a pour source précise une pièce de théâtre de carnaval allemande du XVe siècle, Ain Spil von Maister Aristotiles. Je n’évoque pas ici la relation de ces deux gravures avec les humanistes tenants de la Via moderna, dans cette présentation ridicule d’Aristote, le héros des néo-thomistes de la Via antiqua, tout ceci dans le milieu du grand humaniste Rudolph Agricola, à la cour du compte palatin Philippe, à Heidelberg. L’important est que chez le Maître du Livre de Raison ces deux thèmes sont associés pour créer une pièce d’humour. On doit rappeler qu’une gravure du même artiste, antérieure, a pour thème Dalila coupant les cheveux de Samson, et qu’une autre, vers 1485, montre un paysan à quatre pattes, tenant une quenouille – je renvoie ici au même instrument brandi par Salomon dans le dessin de l’ouvrage de Vintler – et portant à califourchon son épouse qui le mène par le bout du nez. Dans les premières décennies du XVIe siècle, l’Idolâtrie de Salomon fait désormais partie des scènes fréquemment incluses dans les séries du Pouvoir des femmes, dans ces suites bien évoquées par les termes de Weiberlisten, les « ruses des femmes », de Minnesklaven, les « esclaves de l’amour », et de Weibermacht, le « pouvoir des femmes ». Ces créations de la Renaissance sont connues et je n’insiste pas. Mais le petit corpus qui a pu être réuni ici montre que le thème iconographique de Salomon idolâtre est bien plus ancien que ce que l’on a souvent affirmé, et qu’il subit une mutation significative entre le début du XIVe et la fin du XVe siècle.

  • Issue Year: 79/2017
  • Issue No: 3
  • Page Range: 413-428
  • Page Count: 16
  • Language: French